LA BD :
C'est quoi : CABAL
C'est de qui : Jim Baikie, Alan Grant & John Wagner
La Couv' :
Clive Barker n’a jamais caché l’incompréhension, ni la rancune tenace, qu’il nourrissait vis-à-vis du traitement infligé à son second film par la 20th Century Fox, malgré l’accueil favorable reçu par Hellraiser. Adaptation d’une novella publiée en 1988, Cabal développe deux intrigues qui vont rapidement se recouper : le voyage initiatique d’Aaron Boone, jeune homme hanté par la vision de Midian, étrange cité-sanctuaire peuplée de monstres, et les meurtres perpétrés par un impitoyable tueur en série qui dissimule son visage derrière d'inquiétantes bandelettes... et ses yeux, sous deux boutons de corne.
S'appuyant sur le schéma classique d'un récit d’horreur fantastique mâtiné de thriller, Cabal se veut avant tout une réflexion sur la monstruosité physique, incarnée au sens propre par la tribu des Nocturnes de Midian (la fameuse "Nightbreed" qui donne son titre original au film), ou morale, personnifiée par les trois figures négatives de l’humanité que sont l’analyste Philip Decker (David Cronenberg à l’écran et sur l'hideuse couverture de l'édition française du comics), l’homme de loi (le capitaine Eigerman) et l’homme de foi (le révérend Ashberry).
A l'instar de certains chefs d'oeuvre du cinéma d'épouvante comme King Kong, Freaks ou encore La Fiancée de Frankenstein qui ont pris le "parti du monstre" et qu'il cite comme sources d'inspiration, Barker se plaît à inverser le regard porté traditionnellement sur la figure du paria dont il fait, lui aussi, le héros de son histoire. D'aucun pourrait d'ailleurs voir dans Cabal un parallèle avec la marginalisation imposée à la communauté homosexuelle (à laquelle l'auteur reste très sensible) ou plus encore avec l'histoire du peuple juif, ouvertement convoquée à travers la "diaspora" finale des Nocturnes et leur attente d'un nouveau "guide".
Ce discours, aussi engagé qu'audacieux, est soutenu par de belles idées de mise en scène et bénéficie d’un travail époustouflant sur le maquillage, qui confère une crédibilité indéniable au bestiaire "nocturne". Cependant, le résultat original a toujours laissé à désirer et sentait à plein nez le projet remonté par un distributeur incapable de gérer la singularité artistique qu'il avait entre les mains. Si les fans du films disposent depuis 2014 d'un Director's Cut digne de ce nom, ils ont toutefois eu le temps, pendant vingt-quatre ans... de lire, relire - voire même re-relire ! - son excellente adaptation en bande dessinée. Certains puristes me diront qu'ils n'avaient qu'à se contenter du bouquin au lieu de se prendre la tête pour de vulgaires produits dérivés... c'est pas faux, mais ce n'est pas l'objet de cette chronique.
Orchestré par des artistes chevronnés tels que le dessinateur Jim Baikie, collaborateur d'Alan Moore pendant plus d'une décade sur la série Skizz, et le duo de scénaristes Alan Grant et John Wagner (co-créateur du Judge Dredd et futur scénariste de A History of violence, qu'adaptera à l'écran un certain David C.), Cabal le comics reprend le récit développé par le film, mais y réinjecte moulte détails scénaristiques sacrifiés par les censeurs de la 20th Century Fox. En approfondissant la nature des rapport entre les personnages, leurs motivations profondes et en apportant plus de détails au fonctionnement de la tribu des Nocturnes, la BD redonne toute sa chair à l'univers imaginé par Clive Barker. Servie par des illustrations délicates et un découpage savamment maîtrisé, elle permet au final de mesurer pleinement le potentiel thématique et mythologique du projet qu'il avait en tête (s'il avait fonctionné, le film aurait donné lieu à une trilogie) et offre une belle claque à tous les adeptes de "bigarrures" artistiques !