5 mars 2016 6 05 /03 /mars /2016 19:43

 

 

 

 

AUTOPSIE DE L'ENFER

 

 

 

 

 

 

Le Comics

 

 

 

N’y allons pas par quatre chemins, avec From Hell Alan Moore et Eddie Campbell ont crée un monstre. Vingt ans après sa parution (le comics a d’abord été publié sous formes de fascicules de 1989 à 1996)  cette évocation de l’un des plus fameux tueurs en série de l’Histoire reste probablement l’ouvrage le plus difficile et le plus complet de son scénariste pourtant connu pour avoir pondu des œuvres phares.

 

 

 

 

Ce n’est pas innocent si le sous-titre du livre est Une Autopsie de Jack L’Eventreur, Moore décortique en effet minutieusement chaque aspect de la morbide affaire mais également de tous les faits annexes qu’ils soient historiques, sociaux ou culturels. Ainsi au fil de chapitres dessinés dans un style graphique parfois aride, hachuré et en noir et blanc, dont Campbell parle comme à mi-chemin entre l’esquisse d’époque et la froide représentation d’une réalité (et que la forme classique du gaufrier de 9 cases ne rend pas plus accessible), les auteurs, qui ont opté pour la version de l’écrivain Steven Knight impliquant la famille royale et notamment le médecin personnel de sa Majesté comme coupable le plus évident, évoquent pèle-mêle les Francs Maçons, la royauté britannique, la lutte des classes, la condition de la femme, les balbutiements de la psychologie, la sexualité, le surnaturel et…quand même, Jack L’éventreur, qui, comme Moore le dit lui même, n’est pas l’intérêt principal du bouquin.

 

 

 

 

On connait le bonhomme friand de références, si ici certaines sont évidentes – outre les citations, on croise des « célébrités » de l’époque comme John « Elephant Man »Merrick ou le dandy Oscar Wilde - d’autres sont bien plus obscures et connues probablement du bonhomme seul. Si, une fois n’est pas coutume, elles ne gênent pas la lecture, on ne peut manquer de se demander si l’on ne passe – peut-être - pas à côté de quelque chose.

 

Il faudra donc au lecteur  persévérant une bonne dose d’abnégation  pour aller au bout des quasi 500 pages de ce monument de la littérature graphique (oh, oh !) aux ramifications vertigineuses et aux graphismes intransigeants voire austères, mais complémentaires en tout point du propos d’un scénariste qui se livre là à un tour de force rarement égalé dans le médium et qui reste une des créations dont il est le plus satisfait.

 

 

 

Le Film

 

 

 

 

N’y allons pas par quatre chemins, le From Hell des frères Hughes est une purge. Une série B d’épouvante peu inspirée et tellement loin de son matériau d’origine que l’on se demande comment on pourrait même rapprocher les deux. En fait non, on ne se le demande pas, les réalisateurs nous donnent eux même l’explication en interview (que l’on peut retrouver sur les versions DVD du film).

 

Le studio (Disney !) refile aux frangins, responsables à l'époque d’un très hype Menace To Society, le scénario d’un duo d’auteurs n’ayant probablement pas lu le comics de Moore, en leur demandant de mettre en scène cette bio de Jack L’éventreur. Bien entendu, personne à ce moment là ne compte se frapper un comics griffonné au stylo bic de la taille du bottin de l’Illinois, et donc, et je cite l’un des frères Hughes, ils ont techniquement repris le titre, la théorie du docteur de la Reine (qui, pour le coup n’est même pas de Moore) et … c’est tout !

 

Alors, plus loin dans l’interview (qui est édifiante d’hypocrisie mal dissimulée), réalisant qu’ils se sont tirés une balle dans le pied d’entrée de jeu, les réals tentent de redonner un soupçon de légitimité à  leur ratage en faisant l’éloge du bouquin, comme quoi tout le monde sur le plateau avait son exemplaire du comics (chose qui aurait pu –si toutefois elle avait été vraie- être fort amusante vu le poids de la bête) et qu’ils s’y référaient sans cesse. En guise de référence, on notera surtout une paresse intellectuelle qui consistera à re-pomper pas mal des cadrages de Campbell que les frères Hughes auront en plus la terrible idée de colorer façon films de la Hammer, à savoir dans des rouges sanguinolants criards et autres effets de style pompeux.

 

    

 

 

Sans s’appesantir trop sur les innombrables différences entre les deux œuvres, on notera la refonte du personnage de l’inspecteur Abberline, protagoniste quasi secondaire dans le comics (il ne doit pas y apparaitre avant une bonne cinquantaine de pages), devenu « star of the show » dans le film, opiomane avéré, pseudo Sherlock Holmes et voyant à ses heures (un mix de plusieurs personnages du livre en fait) sous les traits d’un Johnny Depp peu convaincu (dont Moore critiquera même le look arguant qu’à l’époque un policier avec une coupe de cheveux pareille  se serait vraisemblablement fait passer à tabac par ses collègues).

 

 

Face à lui une Mary Kelly glamour dont il va tomber amoureux (ah mais je vous avais dit que c’était du grand art !) jouée par Heather Graham, sensation éphémère à l’époque et assez mauvaise actrice.

L’identité du tueur, révélée d’emblée dans le livre et « devinée » par notre détective surnaturel dans la péloche…bref, j’en passe et des meilleures.

Pour terminer cet hallali, on notera que le plus gros désaccord des frère Hughes porte sur un plan de la plus haute importance pour le scénario, qui ne sera d’ailleurs pas dans le montage final, à savoir :

 

Tout est dit !

 

From Hell version Hollywood, et ce en grande partie à cause du producteur Don Murphy, caricature du requin de studios et ex « ami » de Moore, sonnera le glas des relations du scénariste avec le monde du cinéma, et, au regard des adaptations qui suivront, on ne pourra hélas que lui donner raison.

 

 

 

 

La B.O :

 

 

 

 

En 1992, alors que pourtant il coécrivait le score de Dernier des Mohicans (et trois autres navets tout seul), Trevor Jones a-t-il été frustré de ne pas pouvoir mettre en musique le flamboyant Dracula de Coppola ?

Non, mais on est en mesure de se poser la question quand on entend les analogies entre le B.O de From Hell et le tour de force de Wojciech Kilar. Les compositions gothiques lugubres qu’il a livrées aux Frères Hughes et qui mettent en avant des cordes bouillonnantes, notamment les violoncelles, au détriment des cuivres (à de rares exceptions près), des montées en puissance sourdes jusqu’à des paroxysmes d’angoisse portés par des chœurs profonds d’un grand ensemble vocal sonnent clairement parfois comme un lointain cousin du sus cité score.

Néanmoins, l’ajout de l’électronique, de sons effrayants et d’éléments de musique chinoise sort la B.O de Jones du simple hommage appliqué et rappelle certaines pistes du très bon Dark City.

Au final Jones se fend d’une musique d’épouvante bien écrite, à l’efficacité indéniable, mais assez peu originale et qui rajoute à l’atmosphère de film lambda de cette piètre adaptation d’un comics qui a marqué le médium.

 

 

 

 

 

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Une chronique par Fab

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