Chronique un peu particulière que ce Ravage puisque ce sera la dernière de Lio pendant quelques temps, obligations professionnelles oblige.
Nous lui souhaitons bonne chance et espérons qu’il reviendra au plus vite dans les colonnes de B.O BD dont il a été un des principaux artisan de réussite et d’originalité depuis son arrivée, moteur et force de proposition d’un site qui ne serait pas tout à fait le même sans ce qu’il lui a apporté.
A très bientôt camarade, tu nous manque déjà !
Ca donne quoi ? Dans un futur indéfini, les armées du Patriarche François, cent-trente ans au compteur, mais toujours bon pied, bonne oeil (après quelques injections), donnent l'assaut à la place-forte d'Albert le Forgeron, seigneur séditieux, inventeur d'une terrible machine à vapeur... Paris, 2052. Alors que le jeune et un peu raide François Deschamps attend de voir passer sur les écrans sa belle Blanche Rouget, devenue Regina Vox, la nouvelle égérie du producteur Jérôme Seita, l'électricité disparaît soudainement et livre la capitale au chaos et à la destruction.
Se lancer dans une adaptation de Ravage implique de tenir compte de la tonalité si particulière du style de Barjavel, plus proche par moment de la poésie sombre et absurde d'un Boris Vian ou du Brazil de Terry Gilliam que de l'âpreté du 1984 d'Orwell. La démarche impose également de se demander comment aborder l'idéologie anti-moderne et anti-scientifique qui sous-tend son propos. Une idéologie sur laquelle les critiques débattent encore pour savoir si elle relève du pétainisme (rappelons que le livre a été publié sous l'Occupation et la férule du régime de Vichy) ou au contraire si l'écrivain, conforté par son éditeur, l'ambigu Denoël, s'est inspiré de la philosophie prônée par Lanza del Vasto, qui préfigurait les mouvements écologistes radicaux qui essaimeraient à la fin des années 1960 et avait l'avantage de ne pas s'opposer aux doctrines nauséabondes du Maréchal et de ses sbires.
En choisissant de bousculer l'organisation du roman, dont l'épilogue tendancieux tient désormais lieu de prologue, et en faisant du Patriarche un mélange de Solomon Kane droit dans ses cuissardes noires et de Gandalf implacable, façon Peter Jackson, qui défouraille à tour de bras ses ennemis du haut de leurs remparts, Jean-David Morvan et son dessinateur, le talentueux Rey Macutay, livrent une entrée en matière fracassante, digne d'un épisode de Game of Thrones ou de Vikings. Ce parti-pris, pour jouissif qu'il soit, évacue cependant toute polémique éventuelle concernant la relecture qui est faite de Ravage et n'a, au final, pas grand chose à voir avec sa tonalité décalée évoquée plus haut.
Toutefois, dès que le flash-back nous ramène au "début" de l'histoire, la BD commence à trouver son point d'équilibre entre fidélité au roman et innovations bienvenues. C'est alors avec un intérêt croissant que l'on s'attache à suivre les parcours de François et Blanche à travers un Paris futuriste lumineux qui doit moins à la Métropolis de Fritz Lang (comme c'était le cas chez Barjavel) qu'à la Coruscant de Star Wars, accommodée à la sauce haussmannienne.
Se concluant quelques pages seulement après l'extinction de toutes les sources d'énergie de la capitale, ce premier tome (sur trois) apparaît comme une mise en place de l'intrigue et des personnages qui pèche parfois par son inspiration anglo-saxonne trop appuyée, mais parvient malgré tout à remplir la mission que ses créateurs semblent s'être fixée : immerger le lecteur dans le crépuscule des "Temps nouveaux" imaginés, il y a plus de soixante-dix ans, par Barjavel avec une incroyable acuité.
Diffusée en 2010, la première et unique saison de Caprica, préquelle avortée du magistral reboot de la série Battlestar Galactica, orchestrée par Ronald D. Moore, propose à bien y regarder un cadre assez proche à celui du premier tome de l’adaptation de Barjavel : la description d’un univers futuriste, qui concilie esthétique rétro et innovations high-tech - on y bidouille du Cylon en conduisant des Citroën DS ! - dont la confiance aveugle en la technologie va causer sa perte.
Compositeur de l’excellente BO de Galactica, Bear McCreary rempile derrière le pupitre et poursuit son exploration d’un univers sonore riche et diversifié. Il émane de son travail un sentiment de mélancolie qui sied parfaitement aux scènes intimistes de la BD (le morceau "Amanda Graystone" semble avoir été écrit pour Blanche), tandis que les percussions tribales, marque de fabrique de la série, n’en sont pas pour autant oubliées. Il n’y a qu’à écouter les pistes "Terrorism On The Lev" et surtout "Cybernetic Life Form Node" pour s'en convaincre, qui accompagneront à la perfection le prologue guerrier de Ravage. Enfin, permettra de souligner toute la majesté du Paris de Macutay et de son ballet incessant de voitures volantes en suspension.