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Une planche :

Ca donne Quoi ? Il y a généralement peu à attendre des adaptations de films en bandes dessinées. Toutefois, comme on a pu le constater dernièrement avec Cabal, lorsque producteurs et éditeurs s'accordent pour mettre sur le coup des artistes compétents, la donne peut se révéler payante. On l'aura compris, c'est donc plutôt à cette seconde catégorie que se rattache la version "papier" du Blade Runner de Ridley Scott.
Publiée par Marvel en 1982, dans sa collection Super Special, agrémentée d'une splendide couverture de Jim "Nick Fury" Steranko, avant d'être rééditée sous la forme d'une mini-série en deux volumes, la BD bénéficie de la double expérience du scénariste Archie Goodwin, jadis pilier de Creepy, et du dessinateur Al Williamson, ancien collaborateur de Frank Frazetta.
Les deux hommes n'en sont pas à leur première collaboration, puisque parmi une tripotée de séries, ils ont animé pendant plus de dix ans les aventures de Secret Agent X-9, lancées par Dashiell Hammett et Alex Raymond, le créateur de Flash Gordon... que Williamson reprendra également à la fin des années 60.
Du scénario de David Peoples et Hampton Fancher, lui même basé sur le roman de Philip K. Dick, Do Androids Dream of Electric Sheep ?, Goodwin conserve dans ses grandes lignes la structure principale, mais se voit contraint de l'élaguer pour le faire rentrer dans le format d'une cinquantaine de pages qui lui est alloué.
Les puristes crieront sans doute au scandale, mais il faut reconnaître que les choix de coupes opérés par Goodwin se révèlent judicieux et lui permettent de tirer davantage l'intrigue dans le champ du pur roman noir futuriste, option en parfait accord avec l'esthétique du film de Ridley Scott. La voix-off du héros, présente dans la version proposée en 1981 aux spectateurs devient dès lors un élément narratif nullement redondant qui permet même au scénariste d'intégrer quelques anecdotes, absentes du film, sur le passé de Deckard en tant que Blade Runner, les liens qui l'unissent à son supérieur Bryant, ou sur les incroyables capacités physiques de Roy Batty.

Le dessin de Williamson est au diapason du travail de réécriture de Goodwin. Le grand soin qu'il apporte aux détails architecturaux (la pyramide de la Tyrell Corporation, la chambre d'Eldon Tyrell ou encore la cage d'escalier du Bradbury Hotel où vit J.F. Sébastien) rend justice aux nombreuses recherches artistiques effectuées par Sid Maid sur le design de Los Angeles.
Sans aller jusqu'à égaler l'impressionnante photographie du film, ni à retranscrire à la perfection son ambiance sombre et poisseuse, le dessinateur livre une prestation des plus respectables (même si ses personnages ne ressemblent qu'une case sur cinq aux acteurs dont il sont sensés s'inspirer...), réhaussée par un encrage subtile et une mise en couleur à laquelle le passage du temps confère un grain et une patine que Photoshop a peu de chance de nous offrir un jour.
Sans être un chef d'oeuvre insurpassable, le comics de Blade Runner n'a donc nullement à rougir de son statut d'oeuvre de commande et assure, haut la main, la mission qui est la sienne : prolonger, avec style, le plaisir de visionnage du film dont il est tiré. Toutes les adaptations ne peuvent pas en dire autant.
La BD étant assez difficile à dénicher, voici un lien qui permettra aux curieux de la lire dans son intégralité.
Le cycle "Blade Runner Blues" se poursuit avec Do Androids Dream of Electric Sheep ? de Tony Parker.
LA MUSIQUE
C'est Quoi ? E2-E4
C'est de Qui ? Manuel Göttsching
La couv' :

Déjà croisé sur B.O BD ? Non
On peut écouter ? Les neufs titres de l'album sont disponibles en... six parties sur le Tube.
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Ca donne Quoi ? Enregistré, selon la légende, en une seule prise, la nuit du 12 décembre 1981, par l'ancien guitariste d'Ash Ra Tempel, E2-E4 propose une 1ère partie (à l'époque du vinyle-roi, on parlait de "face") électronique résolument tournée vers l'avenir, qui va progressivement céder la place à une suite pour guitare très 70's. Cette opposition machine vs. humanité n'est évidemment pas anodine dans une proposition d'accompagnement musical à l'adaptation en comics de Blade Runner.
Poussant plus loin la comparaison avec l'oeuvre de Ridley Scott, Manuel Göttsching offre avec son album un dialogue musicalement novateur entre beats répétitifs qui unissent, dans leurs boucles lancinantes, sonorités synthétiques et analogiques (chants d'oiseaux, ambiances aquatiques) au final très humaines et sons de cordes folks, nostalgiques d'un rock progressif - ou, pour le cas de Göttsching, d'un "Krautrock" - déclinant.
"Chant d'adieu à la jeunesse [...], aux illusions, aux révolutions" (in Electro 100, Olivier Pernot, Ed. Le Mot et le Reste), E2-E4 incarne enfin une certaine conception de la bande-son de demain que quelques musiciens (dont Vangelis...) tentaient d'élaborer à l'époque où Scott s'efforçait d'imposer, à des producteurs obtus, sa vision cinématographique du monde de demain. Trente-cinq ans plus tard, à en juger par l'influence toujours intacte, dans leurs domaines respectifs, des deux oeuvres de l'Allemand et de l'Anglais, on peut parier qu'ils avaient vu juste.
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Une chronique de Lio