Déjà croisé sur B.O BD? Oui.
C’est édité chez qui ? Soleil
Une planche (un peu particulière!):
Ca donne Quoi ? Le tome 16, La déesse raconte l'histoire d'une manipulation forgée des siècles auparavant par une partie de l'Ordre moins connue : les missionnerias. Ces membres de l'ordre sillonnaient les campagnes en soignant les villageois et en utilisant les guérisseuses pour conditionner la population via des maximes simples.
C'est donc par le plus grand des hasards que des émissaires de l'ordre d'Arsalam découvrent dans un village proche une immense stature aux généreuses formes féminines après que les villageois les aient aidé à tuer un dragon. Quand "la déesse" est amenée en ville, les prêtres d'Hâman rejettent le nouveau culte qui donne aux femmes des droits en opposition avec leurs propres règles : divorce, respect de la virginité, gestion de ses biens.
Le haut-prêtre, intelligent, refuse d'interdire cette religion et attend qu'une erreur soit faite, surtout après que Yassine Lorta lui ait appris que les maximes des villageois ont été créés par l'Ordre. Nouri, informée par Yassine qui fût son fiancé, refuse le mensonge et provoque involontairement la chute du nouveau culte et la reprise en mains par la prêtrise d'Hâman… avant de s'enfuir avec Yassine, banni après avoir avoué son athéisme.
À la 1e lecture, cet album ne m'avait pas vraiment accroché, mais je lui ai trouvé beaucoup de qualités à la relecture. Il éclaire de façon brutale le combat de l'Ordre pour le statut des femmes puisque l'on y découvre les manipulations qui ont été faites. Ange est sûrement lecteur(s) de SF et fantastique, donc il n'est pas vraiment étonnant qu'une allusion à Dune via les missionerias (voir le Bene Gesserit et ses manipulations variées) apparaisse dans la série.
Yassine est un homme libre de ses pensées et il est écoeuré par les compromis et la corruption de la prêtrise. Je suppose qu'il est devenu prêtre d'Hâman (écriture différente de l'Occident, mais sans doute même divinité) sous la pression de sa famille. Encore un type bien de la série!
Cossu arrive à donner une vie extraordinaire aux combats ou aux mouvements de foules. Ses personnages sont expressifs. Ses corps féminins sont dignes (ou inspirées) des peintres orientalistes du XIXe siècle. Il a su rendre l'antagonisme des personnages les plus âgés : le haut-prêtre et la matriarche aussi manipulateurs l'un que l'autre mais le 1e est plus calculateur et la 2e plus brutale.
Dans le tome 10, Vers la lumière, le lecteur découvre un peuple composé de tribus indépendantes qui aura un rôle primordial dans la suite : les sardes. Tout commence avec le naufrage d'un vaisseau volant commercial, sur lequel voyageait un groupe de novices de l'ordre de Faïza, suite à son "aspiration" vers un combat entre vaisseaux de guerre de l'ordre et un gigantesque dragon volant. Ont survécu : 5 novices, une jeune femme et son petit garçon, un jeune homme et un vieil officier du vaisseau.
Ils vont être récupérés par des sardes, peuple nomade, sauvage et esclavagiste. Récupérés ne veut pas dire sauvés car les sardes vendent leurs proies, surtout les femmes. Mais les tribus sont poursuivies par un duc de l'empire accompagné de 3000 hommes.
Le tumulte lié plus les choix différents des chefs de tribus, combattre pour rouge et bleu et fuir pour argent, va permettre à 3 novices de s'en tirer, à Marik en se faisant adopter par l'officier, à la femme et au jeune homme de survivre. Le dernier chef sarde revenu emporte Louis, le petit garçon, pour en faire un roi…
Ange semble s'être inspiré des tribus nomades et guerrières du passé : Vandales, Huns, Mongols… qui ravageaient les pays voisins par leurs pillages. Ce sont des guerriers puissants, bien armés et courageux même si ce sont aussi des marchands d'esclaves.
Ange introduit une nouveauté, qui n'a pas été reprise après (me semble-t-il) : des vaisseaux volants de guerre appartenant à l'Ordre pour combattre les dragons volants. Il y a aussi une faille dans la formation des novices puisque l'une d'elles est prête à vendre ses amies pour se sauver.
Guiton a dessiné le plus cauchemardesque dragon de toute la série (à mon avis). Ses créatures du Veill sont des plus étranges et complètement différentes de la représentation à laquelle les précédents tomes nous avaient habitués. Elles ont un côté ubuesque dont je ne saurais dire si je le trouve ridicule ou effrayant. Sa représentation des sardes avec tatouages de couleur de leur tribu et/ou armures de la même couleur est très curieuse entre guerriers du futur vus par de la SF et guerriers d'héroïc fantasy. Les fausses barbes des chefs sont-elles des parties de leurs armures? Cela donne à cet album un côté très à part de tous les autres.
La colorisation du désert et de la lumière par Séphane Paitreau ajoute beaucoup à l'album.
Le tome 11, Toutes les mille et une lunes nous présente une cérémonie importante de l'ordre des chevaliers dragons. Toutes les matriarches de tous les ordres viennent au fort, un immense château situé en plein milieu d'un désert et loin de tout.
Elles sont accompagnées par leurs meilleures novices d'environ 12-13 ans qui vont subir des épreuves destinées à les trier pour faire émerger 3 recrues exceptionnelles qui "auront un rôle majeur dans le destin de l'ordre des chevaliers dragons".
Pendant que les adolescentes subissent ce "tri" mortel, les matriarches débattent sur l'évolution des règles de l'ordre dirigé par l'ancienne avec Farida, matriarche d'Ishtar, en arbitre des séances. L'ancienne, qui pense être largement réélue à la fin des débats, veut revenir aux "lois des temps de fer" d'une intransigeance totale vis-à-vis de tout manquement.
Les matriarches les plus libérales sont prêtes à truquer le vote s'il le faut. Tout va s'accélérer à l'annonce que les sardes ont franchi les montagnes : c'est la guerre qui commence.
L'ancienne est poussée à la démission par Farida et la matriarche de Messara parce que sa dureté risque de provoquer l'éclatement de l'ordre au pire moment possible. C'est une grande guerrière qui sera bien meilleure générale en chef dans la guerre que dirigeante politique.
Ange plonge le lecteur un peu plus profondément dans les méandres (et les hypocrisies) de l'ordre. Il nous dévoile un fonctionnement semi-démocratique où les matriarches votent les propositions de l'ancienne ou de l'assemblée. Mais les secrets du fort nous sont révélés par les babillages de la prolixe minime Soriko et confirmés en images.
Il y a aussi les épreuves, souvent mortelles, auxquelles sont soumises les plus prometteuses des novices : quel gâchis! Ainsi que la punition démentielle (50 coups de fouet) promise à 2 novices un peu trop curieuses de découvrir le fort… elles arrivent à s'échapper dans le désert, ouf! Dans un précédent tome, un personnage qualifiait l'ordre de "ordre exclusivement féminin, composé d’illuminées frigides", peut-être n'avait-il pas totalement tort ou peut-être que, à force de combattre des dragons, les guerrières se déshumanisent totalement. À noter que les sardes ont provoqué la guerre en pénétrant sur le sol de l'empire… et que l'ordre renonce à sa neutralité pour soutenir l'empire de Messara et protéger la civilisation.
Looky et Stéphane Paitreau ont réalisé un travail complètement hallucinant dans cet album. La colorisation est tellement fine avec des demi-teintes et des fondus tels que j'ai du mal à imaginer cet album sans. Même si j'apprécie au plus haut point les graphismes de Looky qui sont d'une finesse et d'une expressivité rarement vues en BD. En plus il joue sur l'éclatement des cadres avec des pages, doubles ou pas, mettant en valeur quelques cases, puis des accolements de cases… bref, une dynamique de dessin bien éloignée du gaufrier classique.
Que dire des matriarches sinon qu'elles sont fabuleuses avec des visages couturés de cicatrices comme celle de Messara ou l'ancienne, des tenues extraordinaires avec os ou dents de dragons ou tenues régionales, tunique et turban blancs pour Farida ou broderies dorées pour d'autres.
L'architecture du fort est tout aussi extraordinaire : château classique sinon rustique vu de l'extérieur et splendeurs mélangées de gothique flamboyant (les voutes en ogive, le cloitre, les vitraux), de baroque (les rotondes, les sculptures dans des niches) et de palais orientaux (atrium autour d'un bassin, moucharabiehs en dentelles de pierre).
Mon album préféré de la série…
On reste dans l'oriental avec le tome 15, L'ennemi. Le chevalier dragon Saraï est enlevée par les hommes du sultan Sarkis alors qu'elle observait le dragon à abattre. Celui-ci est un grand collectionneur : d'œuvres d'art, de livres, d'armes, de femmes.
Avoir une chevalier dragon dans son harem est une fierté pour lui. Mais il ne sera pas facile d'en faire une épouse docile et le sultan a fait entrer une louve dans sa bergerie! À Messara, la nouvelle de l'enlèvement de Saraï n'est pas perçue de la même façon par les sœurs jumelles : Rhina, la matriarche de l'ordre, et Helsana, l'impératrice.
La guerre contre les sardes est en plein développement et l'empire a besoin de l'aide des sultans sunnis; la vie de Saraï ne pèse pas lourd à côté de celle de milliers de gens. Mais la seule protection des chevaliers dragons dans les contrées éloignées est le fait que jamais on ne laisse impuni un crime contre l'une d'elles; le viol de Saraï serait donc un fâcheux précédent.
Les 2 arguments se valent. Saraï fomente une révolte du harem au moment même où les ombres de l'ordre s'apprêtent à agir en massacrant tout le monde dans le palais. L'accord passé entre les sœurs 20 ans avant est brisé : elles ne prendront plus de décisions communes.
Ange a créé des personnages plutôt intéressants avec ces 2 sœurs avançant parallèlement plutôt que côte à côte. La matriarche est dogmatique et dure tandis que l'impératrice est sensible et diplomate. Ce sont elles les vraies héroïnes de ce tome. L'histoire de Saria n'est qu'un prétexte pour les introduire dans la série. Leur dispute donne un contexte très sombre à la guerre de 1000 ans.
J'avoue ne pas avoir accroché aux graphismes de Boutin-Gagné. Je trouve ses personnages un peu trop hiératiques, un peu trop figés. Sa mise en page est très sage même s'il joue sur des cases de tailles différentes. En revanche, les décors des palais du sultan ou de la ville de Messara sont superbes.
Suite au prochain épisode…
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Une chronique de Gen