et Trois secondes.
En 2009, Marc-Antoine Mathieu laisse momentanément de côté les expérimentations sur le 9e art de sa série fétiche JC Acquefacques pour se concentrer sur un projet qui met la sobriété de son graphisme au service d’une question ambitieuse : que se passerait-il si, un beau jour, il prenait à Dieu l’envie de se réincarner au beau milieu de la foule ?
Abordant cette problématique vertigineuse à bras le corps, le dessinateur multiplie les approches avec le jusqu’au-boutisme absurde qui fait toute la richesse de son œuvre : interventions télévisées d’une attachée de presse, d’un psychiatre, d’un historien, d’un sociologue, d’un philosophe, mais également du chauffeur de la « Dédémobile » que les autorités ont mise à la disposition du Créateur pour ses bains de foule ; attestations scientifiques de l’authenticité des prodiges qu’il accomplit ; procès pour démontrer son existence et le responsabiliser le plus possible pour tous les maux de l’humanité ; récupération marketing du concept de « Dieu », …
Toujours présenté de dos ou à travers une vitre en verre dépoli, l’apparence du Dieu de MAM reste insaisissable, hors-culte (si ce n’est monothéiste). Seul son « verbe » permet de s’en faire une idée, celle d’un type plutôt sympathique, pas bégueule pour un sous. Un monsieur tout-le-monde avec cette « seule » particularité qu’il utilise 99,91% de son cerveau (les 0,09% lui servant à « la réflexion qu’il porte sur lui-même »).
En situant une fois encore son histoire dans un cadre qui emprunte autant à Kafka, qu’à Pérec ou Borgès (l’auteur de L’Aleph fait d’ailleurs une apparition dans la bd sous les traits du philosophe Jorge Henri Bronges) – univers noir et gris pour le moins austère, pince-sans-rire, ultra-cartésien, caractérisé par une architecture inspirée des années 30 et une absence totale de Nature - MAM prend ses distances avec le réel pour mieux livrer une parabole qui ne traite, au final, pas tant de la religion que de notre incapacité à nous confronter à ce qui nous dépasse, à ce qui nous meut. Une tragédie inhérente à la condition humaine évoquée par Clément Rosset dans Le Principe de cruauté et qui veut que nous soyons : « muni[s] de savoir – à la différence des animaux ou objets inanimés – mais en même temps […] démuni[s] des ressources psychologiques suffisantes pour faire face à [notre] propre savoir ».
Dialogues exploitant avec une intelligence rare tous les jeux de mots et les mises en abîme qui peuvent être faites sur l'utilisation du mot "Dieu", refus de toute iconographie pesante qui pourrait plomber son propos, profondeur de la réflexion, humour, finesse d'un trait qui n'a plus rien à prouver, Dieu en personne n'est rien d'autre que l'incarnation de la divine perfection fond/forme faite bande dessinée. Et je pèse mes mots.